Le théâtre immersif est un type de spectacle qui, pour reprendre les mots de Cécile Martin, « n’est ni du théâtre, ni du cinéma, ni la réalité. C’est juste entre les trois ». Le spectateur franchit le quatrième mur, et partage la scène avec les comédiens – quittant ainsi la possibilité d’un monde cinématographique. Nous ne sommes pas dans le réel puisqu’il s’agit d’un morceau de fiction. Enfin, étant donné que le spectateur jongle entre les rôles de figurant et acteur en plus de constituer le public, nous quittons ainsi le domaine théâtral traditionnel.
J’ai presque envie de comparer cette expérience à ce que peut ressentir un joueur de jeu vidéo : tantôt vous êtes amenés à prendre des décisions pour faire évoluer l’action, un personnage peut vous prendre à témoin, tantôt vous devenez spectateur durant les cinématiques. Même dans les moments de « passivité », vous devez rester « présent ». L’expérience immersive fonctionne de façon similaire, ce qui permet au public d’éviter de se désintéresser de l’action.
La compagnie qui a permis au mouvement immersif de se faire connaître s’appelle Punchdrunk. Elle a son siège à Londres et crée régulièrement des événements hors du commun au Royaume-Uni mais aussi à travers le monde. J’ai eu la chance d’assister à une de leurs représentations de The Drowned Man en 2013, qui avait lieu dans un hangar désaffecté non loin de la station de train Paddington, dans le centre de Londres. Le hangar de 4 étages avait été réaménagé en studio de cinéma des années 50. Après nous avoir encouragé à « perdre nos amis » et nous aventurer seul, un membre de l’équipe technique nous mis un masque neutre sur le visage. Enfin, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et nous étions plongés dans l’univers du vieil Hollywood.
Séparée de mon groupe d’amis, et incapable de reconnaître qui que ce soit dans l’ombre des corridors et avec les masques, je m’aventurais de salle en salle, observant la beauté des décors, les détails, les personnages que je commençais à reconnaître au détour de couloirs, caravanes abandonnées ou même de forêts peu rassurantes. Après avoir assisté à une scène où un groupe de personnages célébraient le succès d’un des acteurs, je senti une main m’attraper par le bras et m’entraîner dans les couloirs. Des membres du public ayant remarqué nous suivirent. Après avoir monté trois étages quatre à quatre, l’homme s’arrêta dans une petite salle sombre, illuminée par une dizaine de bougies. Je me tenais face à un autel sur lequel étaient posées des photos d’une des actrices. Une fois mes yeux accommodés à l’obscurité de la pièce, je réalisais non sans un certain effroi, que la femme sur les clichés avait été partiellement défigurée, et que les murs de la pièce étaient couverts de polaroïd et autres photographies. L’homme se mit à pleurer et à me demander « pourquoi ne m’écoutes-tu pas ? ». Devant mon silence, il se mit à hurler avant de me jeter une poignée de photos au visage et de s’enfuir à travers l’attroupement de spectateurs.
Ce genre de représentation permet d’augmenter l’intensité de la fiction, et Punchdrunk est connu pour pousser les limites des arts performatifs autant que possible. Cette interaction fut intense, dû à la nature de l’histoire mise en scène, et parce que Punchdrunk veut forcer son public à revoir sa position d’observateur. Nous sommes vraiment à cheval entre l’interactivité et le jeu. Cela ne convient pas forcément à tout le monde, mais je ne peux que vous encourager à tenter l’expérience.
En France, la compagnie lyonnaise INVIVO gagne de plus en plus d’admirateurs depuis 2011. Leur nouvelle création 24/7, nécessite au public d’utiliser un casque de réalité virtuelle (VR), ce qui limite le nombre de spectateurs par spectacle. Cependant, le concept est à la fois génial et intriguant : forcer les participants à utiliser un casque VR me permet de retourner à l’analogie du jeu vidéo. Le casque VR permet au joueur de devenir le héros et de le plonger dans l’univers du jeu (ce qui par exemple pour des jeux comme Resident Evil VII peut vite tourner en expérience traumatisante – je m’en remets doucement).
Encore une fois, ne confondons pas immersif et interactif. Le théâtre immersif ne demande pas nécessairement une participation du public : vous venez d’être catapultés dans votre film préféré – vous êtes en situation d’immersion. Prenons l’exemple des Escape Room : vous n’avez pas d’autre choix que de participer activement en répondant aux énigmes car le sort de votre équipe en dépend.
Au-delà du côté lucratif et de l’idée de spectacle, le théâtre immersif, tout comme la 3D et les casques de réalité virtuelle, répondent au désir du public du 21ième siècle d’être plongé au cœur de l’action, de ressentir les émotions des personnages et de quitter le réel. Alors, si vous désirez mettre en scène une histoire, voyez si elle s’y prête. Parlez-en autour de vous, sans vous limiter aux théâtres. Vous pourriez mettre en scène votre création dans un restaurant, un musée, un manoir ou un château… Laissez libre court à votre imagination!