- Arnaud BURGOT
- Ulule team
Les Ululers nous posent souvent des questions sur le traitement juridique et fiscal des fonds collectés par l’intermédiaire de notre site. Peut-on, par exemple émettre des reçus fiscaux de dons pour les personnes qui financent ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord définir la nature des transactions réalisées par l’intermédiaire d’Ulule ou de plateformes de financement participatif similaires, car c’est cela qui détermine le traitement juridique et fiscal de ces opérations.
Généralement, les soutiens pensent que leur participation à un projet de crowdfunding correspond à un don, ce qui est faux dans la majorité des cas. De nombreux articles ont été publiés sur le financement participatif et nous avons lu à plusieurs reprises que ce que nous faisons chez Ulule est du « don contre don ». Ou encore qu’Ulule est « une plateforme de dons pour financer des projets ».
Ces affirmations nous font réagir, car comme nous allons le détailler, c’est inexact d’un point de vue juridique. Parler de « don contre don » est incorrect, et peut être trompeur pour des créateurs de projets qui considéreraient être dans leur droit en émettant des reçus fiscaux pour toutes les transactions.
Mais alors, qu’est-ce qu’un don ? Et si les transactions réalisées sur Ulule ne sont pas toutes des dons, que sont-elles ?
Qu’est-ce qu’un don ?
Du point de vue juridique le don est une « libéralité ». Les libéralités regroupent les dons manuels, les donations sous acte authentique et les legs. Une libéralité est une opération par laquelle une personne transfert au profit d’une autre un ou des biens qui lui appartiennent.
Pour le financement participatif de projets, il s’agit de dons manuels, qui consistent à remettre de « la main à la main », mais aussi par virement ou moyen de paiement dématérialisé, un bien ou une somme d’argent. Ce que l’on nomme dans la vie courante un « don » est donc juridiquement un don manuel.
Une condition essentielle des libéralités et donc des dons manuels, est leur caractère désintéressé. En droit français c’est ce que les juristes appellent « l’intention libérale », ou autrement dit, l’absence de contrepartie. Pour que la transaction réalisée soit un don, il ne faut pas que la personne soutenant le projet reçoive de contrepartie.
Une fois que ceci a été énoncé, si vous connaissez le fonctionnement de notre site, vous comprenez que les transactions réalisées sur Ulule sont rarement des dons…
Quelles contreparties permettent de garder la qualification de don ?
Ce principe général d’absence de contrepartie est à nuancer. Par exemple on peut se poser la question suivante : lorsque je donne 5 € à la Croix-Rouge lors d’une collecte dans la rue, et qu’en échange je reçois un autocollant, s’agit-il d’un don ? En effet, j’ai reçu une « contrepartie »… donc, qu’en est-il ?
Sur ce point, la réponse nous vient du droit fiscal. Les dons donnent droit à des avantages fiscaux sous certaines conditions, c’est donc logiquement cette branche du droit qui a encadré années après années la définition de ce qui constitue une « contrepartie ». Les instructions fiscales et la jurisprudence ont donné naissance à la notion de contreparties « institutionnelles ou symboliques », qui peuvent être fournies sans que la transaction ne perde la nature d’un don.
Les contreparties telles que le fait de devenir membre d’une association ou qui sont une distinction telles qu’un titre de « membre honorifique » sont considérées comme « institutionnelles ou symboliques ».
De même, des biens ou services peuvent être reçus par le soutien, dès lors que leur valeur présente « une disproportion marquée » avec le montant du don. Plus précisément, il ne faut pas que le bien ou le service reçu ait une valeur de plus de 25% du don effectué (et cette valeur est plafonnée à 65 € pour les contreparties remises à des particuliers). Les autocollants, timbres décoratifs, insignes, affiches ou cartes de remerciement sont des contreparties « symboliques », qui peuvent être remise à la personne soutenant le projet, sans perdre la nature de don.
Cependant, lorsque l’on regarde en détail les types de contreparties proposées par les créateurs et créatrices de projets sur Ulule, on voit que les biens ou services proposés en échange des contributions varient fortement d’un projet à l’autre et d’un montant de contribution à un autre. Qu’en est-il alors de ces transactions, sont-elles des dons, des ventes, ou les deux ?
Analyse d’un projet sur Ulule : dons ou actes de vente ?
Imaginons un projet fictif sur Ulule, par exemple un court métrage, qui propose plusieurs paliers de contreparties en fonction des montants de contributions :
Projet « I love the law that is so simple »
Montant de la contribution | Contrepartie |
5 € | Un remerciement au générique du film |
10 € | Contreparties précédentes + une photo dédicacée par l’ensemble de l’équipe |
20 € | Contreparties précédentes + le DVD dédicacé du film |
50 € | Contreparties précédentes + le T-shirt ou la casquette « Atelier 37 productions » dédicacé. |
Imaginons que 4 personnes différentes contribuent au financement de ce projet. Cela ne fait pas un gros budget…mais c’est juste une hypothèse pour bien comprendre et analyser la situation !
- 1ère Personne : Camille a donné 5 €, il reçoit en contrepartie son nom au générique du film.
Là ce n’est pas trop dur, si vous avez suivi ce qui est décrit ci-dessus, la contrepartie est symbolique, il y a donc bien une « intention libérale », et la transaction réalisée est un don.
- 2ème personne : Ivan a donné 10 €, il reçoit en contrepartie son nom au générique du film + une photo dédicacée.
Là encore pas de complexité, la photo dédicacée n’ayant pas de valeur marchande (à moins que ce court métrage ne soit réalisé par Christopher Nolan…), on constate que les contreparties ne sont que symboliques ou honorifiques, donc il s’agit encore d’un don.
- 3ème personne : Louis a donné 20 €, il reçoit en contrepartie son nom au générique, une photo dédicacée, et un DVD du film.
La valeur marchande d’un DVD est d’environ 10€. En conséquence les contreparties reçues ont une valeur qui excède 25% de la contribution. La transaction réalisée n’est donc pas un don, mais une vente !
- 4ème personne : Florent a donné 50 €, il reçoit toutes les contreparties précédentes + 1 t-shirt dédicacé.
Pour 50€, la personne a donc à la fois un DVD et un T-shirt. La valeur marchande de ces biens est très variable, mais on peut sans trop exagérer considérer que cela vaut dans le commerce 20 € au minimum. Cela excède donc ¼ de la somme reçue, et il ne s’agit encore une fois pas d’un don, mais d’un acte de vente.
Comme vous le voyez, la réalité des transactions réalisées sur Ulule est donc plus complexe qu’il n’y parait. La plupart des projets conduisent à la réalisation à la fois de dons et d’actes de vente. Il est nécessaire d’analyser pour chaque type de contrepartie proposée s’il s’agit de contreparties symboliques ou non. Parfois sans en avoir conscience, un créateur de projet sur Ulule va donc à la fois recevoir des dons et réaliser des ventes !
« Pourquoi tu nous racontes tout ça ? Qu’est-ce que j’en ai à faire de savoir s’il s’agit d’un don ou d’une vente ? »
Dans la pratique, le montant moyen d’une transaction sur Ulule est de 48 €. Pour de tels montants, les contreparties proposées ne sont généralement pas symboliques ou honorifiques, et la plupart des transactions qu’Ulule permet de réaliser sont donc des actes de vente.
En conséquence si vous lisez sur d’autre plateformes de crowdfunding des affirmations telles que :
« Que vous soyez un particulier, une association ou entreprise, vos contributions ou vos soutiens financiers aux projets sont des dons. Le créateur de projet peut vous fournir un reçu de dons si vous le désirez pour chacune de vos contributions »
Méfiez-vous, c’est inexact. Répandre cette idée peut être préjudiciable, notamment pour les porteurs de projet qui risquent d’émettre des reçus fiscaux à tout va, et qui encourent des amendes s’ils l’ont fait à tort !
Démonstration faite ci-dessus Ulule n’est pas « une plateforme de don ». Appelons un chat un chat, c’est important pour ne pas tout confondre.
C’est par ailleurs très important de déterminer si les transactions sont des dons ou des ventes, car cela a de nombreuses conséquences juridiques. Parmi les plus évidentes, on peut citer :
- Les avantages fiscaux dont bénéficient les personnes réalisant des dons à des associations d’intérêt général. Seuls les dons donnent cette possibilité, pas les ventes ! Donc analysez la situation avant d’émettre des reçus fiscaux.
- La nature des activités de l’association et le caractère de non lucrativité : une association qui réalise majoritairement des actes de commerce (donc des ventes) pour subvenir à ses besoins a de fait une activité majoritairement commerciale. Le fisc risque donc de remettre en cause le caractère non lucratif de l’association et de l’obliger à payer des impôts commerciaux (TVA, impôt sur les sociétés, etc.), si celle-ci réalise majoritairement des transactions commerciales.
Attention toutefois à ne pas tirer de mauvaises conclusions de tout cela. Si vous êtes un particulier ou une entreprise et que vous créez un projet sur Ulule, le fait que vous receviez des dons ou que vous réalisiez des ventes ne change rien. Dans tous les cas il faudra déclarer ces montants aux impôts.
Seuls certains dons entre personnes physiques sont exonérés (don des parents à leur enfant de leur vivant pour un montant plafonné tous les 10 ans par exemple). Les dons réalisés sur Ulule ne rentrent pas dans cette catégorie. Pour les impôts, c’est la même chose que des pourboires…il faut les déclarer! Là-dessus nous vous invitons à suivre notre guide du traitement comptable et fiscal des fonds collectés sur les sites de crowdfunding pour en savoir plus.